J'ai pris mes premières images en 1974 et je me rappelle bien ce sans abri, qui portait cravate et que les gens croyaient parfois être un fonctionnaire ou un homme d'affaire quand ils regardaient le portrait de rue que j'avais fait de lui. Un premier portrait que j'avais fait au téléobjectif tellement j'étais intimidé à l'idée qu'il me voit faire et pourtant... Il m'a vu... Nous avons parlé un instant et je me souviens que ce moment ait fait ma journée. Au fil des ans, j'ai photographié dans diverses conditions et dans bien des villes sur notre planète. Adepte incontesté d'une caméra discrète pour ma photographie de rue, je ne me cachais pourtant lors des prises de vue et j'ai reçu parfois des sourires complices de la part de mes sujets. Ce fut également ainsi chez-moi au Québec pendant longtemps. Puis au cours des années 90, les choses changèrent. Le jugement de la Cour Suprême du Canada en 1998 dans l'affaire Duclos modifia la façon de faire des photographes de rue. Pire encore que ce jugement, les gens l'interprétèrent jusqu'à considérer qu'il était interdit de photographier quelqu'un sans son consentement préalable. Les sourires complices des premières années firent place à des airs bêtes, de l'intolérance et parfois même de l'agressivité.
Je crois fermement que le droit à l'image fut bafoué par ce jugement. La mémoire collective à laquelle contribue les photographes en est la principale victime. C'est de notre patrimoine culturel et historique dont il s'agit ici.
C'est à nous tous, photographes comme sujets, de reprendre le chemin menant à une confiance mutuelle afin que naissent de nouvelles images en toute liberté.